CHAPITRE XXXV
Jacen se tourna vers son frère.
– Tu ne pouvais pas dormir ?
Anakin sortit sur le balcon de l’appartement des Solo.
– Des cauchemars.
– Quel genre ?
– Dantooine. Je rêve sans arrêt que je massacre des reptiloïdes… Mais ça ne suffit pas. Quand nous arrivons au camp tous les deux – tu es là aussi –, nous trouvons énormément de morts. Chewie, papa et maman en font partie.
– Un sacré cauchemar…
– Qu’est-ce qu’il veut dire, à ton avis ?
– Je l’ignore. Après mon expérience sur Belkadan, j’ai cessé de me demander ce que les rêves signifiaient. Tu es encore en train de ressasser la mort de Chewie… Ou tu te réjouis d’avoir sauvé Mara…
Anakin rejoignit son frère, s’accoudant aussi à la rambarde. Il regarda les lumières scintiller dans le paysage urbain de Coruscant. Il avait du mal à réaliser qu’un mois à peine s’était écoulé depuis son départ pour Dantooine avec Mara.
– Mon rêve est seulement un rêve. Le tien était peut-être une vision, d’après oncle Luke.
– Oui, mais l’avenir a changé, et j’ai subi la torture. Comme nous avons quitté Belkadan pour venir à ton secours, c’est probablement toi qui as modifié l’avenir…
– Si j’étais mort, tu aurais été plus content ?
– Je n’ai pas dit ça. Et papa ne serait pas ravi !
– Tu l’as vu ?
– Non. Et toi ?
– Non plus. C-3PO pense qu’il « inspecte » les bars de Coruscant. Ou plutôt, le fond de leurs verres…
– Je l’envie presque…
– Pourquoi ?
– Je fais aussi des cauchemars, Anakin. Sur Dantooine.
– Comme le mien ?
– Du genre… J’étripe des tas de reptiloïdes devant un portail. Ils veulent traverser, mais je les en empêche. Je les taille en morceaux.
– C’était nécessaire…
– Vraiment ? Ce que nous avons fait n’était pas noble, c’était une boucherie. Nous n’affrontions pas des soldats, mais des zombies. Nous les avons massacrés comme du bétail.
– Tu n’avais pas le choix ! Si tu ne les avais pas tués, ils auraient abattu beaucoup plus de réfugiés.
– Je sais. J’en accepte la responsabilité… Mais je me demande encore le rapport avec ma vocation de Jedi. Comment cela m’a-t-il rapproché de la Force ? Suis-je un meilleur Jedi qu’avant ?
– Le travail d’un Jedi est de protéger les gens. Il n’y a pas de meilleure raison d’agir. Tu as risqué ta vie pour en sauver d’autres.
– Vraiment ? Tu crois que ces reptiloïdes avaient une chance de nous nuire ? Plus de la moitié des soldats de Bril’nilim ont survécu, et ce ne sont pas des Jedi. Nous n’avions pas besoin de nos sabres laser, Anakin. Des haches ou des massues auraient suffi. Et sauver ces réfugiés était-il un si bel exploit ? Nous les avons empêchés de mourir, mais dans quel but ? Cela en fait-il des gens meilleurs que ceux qui sont morts ? Utiliseront-ils cette expérience pour rendre l’univers plus agréable ?
– Je l’ignore, Jacen. C’est l’avenir…
– Qui change sans cesse ! Un air connu…
– Exact. Je sais seulement que nous avons gardé en vie un certain nombre d’êtres pensants. Ça me suffit.
– J’aimerais que ça me suffise aussi.
– Je ne comprends pas.
– Anakin, tu t’es merveilleusement débrouillé sur Dantooine dans des circonstances difficiles. Tu es un héros et je n’essaie pas de diminuer la valeur de tes actes. Je veux que tu le comprennes.
– D’accord, dit Anakin. Et toi ?
– C’est le problème. Je ne sais pas. Je pensais que vivre en ermite me rapprocherait de la Force. Mais quand j’ai vu les esclaves, j’ai été contraint d’agir. La Force m’a envoyé une vision, mais tout est allé de travers. Pourtant, votre sauvetage sur Dantooine en a découlé. J’ai l’impression de tourner en rond. Parfois il me semble que j’ai besoin d’être seul. D’autres fois, je me fonds dans le moule d’héroïsme d’oncle Luke. Je sais qu’il existe d’autres approches, mais j’ignore si ce sont les bonnes.
Anakin réfléchit.
– Comme si tu voulais programmer un cap sans savoir quelle est ta destination.
– Pardon ?
– Tu as dit que tu tournais autour de ton but, mais tu ne l’as pas défini. Je veux devenir un Chevalier Jedi, comme oncle Luke et tant d’autres avant lui. J’ignore ce que tu veux, et je ne pense pas que tu le saches non plus !
– C’est ce que j’éprouve… Je crois que c’est parce que je veux être quelque chose de plus. Je ne sais pas quoi, mais il existe sûrement davantage de choses au sujet de l’Ordre Jedi que nous le pensons. J’en suis convaincu, même si j’ignore de quoi il s’agit.
– Dans ce cas, partir tout seul pour y réfléchir ne t’apportera peut-être pas la solution.
Jacen regarda son jeune frère.
– Comment se fait-il que tu sois si philosophe, tout d’un coup ?
Le jeune homme s’empourpra.
– Sur Dantooine, quand Mara m’a obligé à cesser de m’appuyer sur la Force comme sur une béquille, j’ai eu pas mal de temps pour réfléchir… Alors j’ai compris que j’utilisais trop la Force. L’oncle Luke s’en sert comme d’une conseillère ou d’une source d’énergie. D’autres la manient comme un outil. J’y ai pensé un moment, et j’ai choisi de suivre la voie d’oncle Luke.
– Ce n’est pas un chemin de tout repos.
– La facilité n’est pas pour les Jedi. Bien entendu, il est encore plus difficile de chercher ton propre chemin. Peut-être devrais-tu emprunter un temps ceux des autres et voir comment tu peux les combiner pour inventer le tien.
Le commentaire d’Anakin rappela à Jacen ce que son oncle lui avait dit : il était encore jeune et manquait d’expérience.
Peut-être ai-je besoin d’explorer davantage de façons d’être un Jedi afin de mieux me connaître.
Car même s’il utilisait la Force plus judicieusement qu’Anakin, il ignorait comment il fonctionnerait sans elle.
Puis-je réellement m’intégrer à la Force et apprendre à m’en passer ?
Jacen tendit la main pour ébouriffer les cheveux de son frère.
– En tout cas, j’étais fier de t’avoir à mes côtés sur Dantooine. J’ignore ce que je serai, Anakin, mais tudeviendras un grand Chevalier Jedi. Tu réussiras, en dépit des obstacles que la vie mettra sur ton chemin.
– Es-tu Jacen, ou un Yuuzhan Vong sous un camouflage ooglith ?
Jacen passa un bras autour des épaules de son jeune frère.
– Pour le moment, je suis Jacen Solo ! Et nul ne sait ce que je deviendrai. Surtout pas moi.